Baudelaire

Les fleurs du Mal & Spleen de Paris

Création danse et théâtre

Teatro da Garagem, Lisbonne
du 13 au 16 avril 2023

Chaque époque à son Baudelaire et, celle-ci sera le Baudelaire selon l’acteur et metteur en scène Alexandre Païta avec un programme qui lancera les commémorations du bicentenaire de la naissance de Baudelaire (1821-2021). Dans le territoire intangible de la culture, Baudelaire arrive à 2021 avec une fraîcheur et une actualité souveraine, avec le prestige de sa pensée et de son style intact. Son bicentenaire doit être célébré par toutes et tous ceux qui aiment la culture en général la littérature en spécial, des domaines à qui M. Païta offre une totale dévotion.

Dans un spectacle théâtralo-poétique, musical et chorégraphique qui est l’aboutissement d’un travail né d’une longue maturation (bien avant l’enregistrement de 2017 du CD avec 21 pièces de Les Fleurs du Mal et de Le Spleen de Paris) on trouve un programme signalant la rencontre passionnelle et bouleversante de M. Païta avec Baudelaire, le chantre de la modernité ou le « Dante d’une époque déchue », selon l’expression de Barbey d’Aurevilly.

Né poète comme on naît petit, grand, blond, brun, noir ou blanc, avec les yeux châtains ou bleus, Baudelaire a formulé que « c’est à la fois à travers la poésie, par et à tra-vers la musique que l’âme entrevoit les splendeurs situés derrière le tombeau ». Il y a une profonde inspiration plastique dans Les Fleurs du Mal et on sait qu’il est entré dans la carrière littéraire comme critique d’art. Baudelaire a été initié aux arts plastiques peut-être par son père qui maniait le pinceau. Dans Mon coeur mis à nu, Baudelaire se proposait de « glorifier le culte des images, ma grande, mon unique, ma primitive passion ».

Dans le spectacle conçu par Alexandre Païta et Melissa Cascarino on trouvera une caverneuse et lumineuse correspondance entre les royaumes du poétique, du musical et du plastique, un antre où les corps chavirent et succombent à la puissance sensorielle de la poésie et sombrent dans une eau chatoyante.

On devine au loin la danse des Bacchantes et des Satyres pendant que la voix des acteurs nous offre le voyage entre la vitupération haletante du Chant d’Automne et la fatigue douce et mâchouillée qu’on écoute dans Les Bienfaits de la Lune. Plus que deviner la danse, on aura une Bacchante personnifiée par Melissa Cascarino.

Les spectateurs en cercle, le piano à queue au centre, les voix dans les mots de Baudelaire, la musique et la danse ne forment qu’une seule et même cellule qui concentre des flux magnétiques qui se diluent et glissent les uns dans les autres, un organisme vivant qui repose sur des fréquences cosmiques que seul un rapport poétique au monde sait délivrer. Ces entrelacs de textures génèrent un prisme que chaque personne présente pourra traverser pour repousser les bords du monde. C’est l’immanence de l’essence poétique qui est là présente en toute chose, tout corps et tout endroit.

Alexandre Païta accompagné par Annalisa Stagliano au piano donne un récital poétique et musical en « jouant » des extraits des Fleurs du Mal et du Spleen de Paris de Charles Baudelaire dont c’est le cent cinquantième anniversaire de la mort. Alexandre Païta est un habitué des poètes : sa fréquentation fiévreuse de Gustave Roud, Rimbaud, Verlaine ou encore Prévert et Lorca lui a donné assise et conviction dans la manière de les approcher. L’acteur interprète littéralement ces poèmes illustres, comme une partition de musique. Il ne les récite pas ! Quel défi et quel parti-pris ! Alexandre Païta transcende littéralement cette sublime poésie tant il l’habite de tout son cœur et de toutes ses tripes ! Le spectateur ou l’auditeur (un superbe CD vient de sortir) n’est pas un seul instant lâché ! Pris à la gorge, giflé par ces poèmes ressuscités, abasourdi par la géniale fusion de la poésie et de la musique, les choix musicaux, Bach, Mahler ou encore Satie sont étonnants et appropriés, le spectateur entend la voix particulière et revenue de longs voyages de l’acteur envahir sa conscience pour faire de son intimité un espace de poésie rare, un moment d’éternité…

L’entreprise d’Alexandre Païta est une réussite absolue par son audace et sa crédibilité. On se damne à l’écoute de l’Homme et la Mer et de l’Albatros. Merci monsieur Païta, les prises de risque réussies sont si rares aujourd’hui. L’acteur annonce une suite, nous l’attendons avec impatience.

Max Trébosc

Journaliste et enseignant, Montpellier

Comme une odeur…

Baudelaire, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance – un instant fort et poétique, un spectacle qui était à voir du 28 au 31 octobre au Théâtre des Grottes.

À l’origine des spectacles d’Alexandre Païta, il y a une image, des visages. Souvent le sien expressif et fort. Il y a aussi ceux des autres qui partagent la scène avec lui comme son prochain spectacle prévu pour mars 2022 : Elektra. Les toujours très esthétiques affiches de ses spectacles le montrent : il y a comme une odeur de puissance qui se dégage, on sent chez ce metteur en scène et comédien l’intensité dramatique. Dans le grand corps des styles de théâtre, Alexandre Païta défend le sien : le texte est tout.

Sur la scène s’impose la laque noire d’un piano à queue. L’effet intime est à l’image de la musique de chambre. Une image qui semble en conflit avec le dandy à la vie dissolue qu’était Baudelaire, ce qui confirme que les révolutions (politiques, esthétiques ou littéraires) débutent dans la rue et se terminent dans les salons.

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Jacques Sallin

La Pépinière, Genève

Teaser: Dessin de Pedro Calapez

Teatro da Garagem

Costa do Castelo 69, 1100-022 Lisboa, Portugal